Communication
« La valeur sociale de la musique » en France au tournant du XXe siècle : enjeu d’une musicologie médiatrice.
Lorsque Romain Rolland et Julien Tiersot organisent le premier congrès international d’histoire de la musique en 1900 avec l’aide de plusieurs musicologues et compositeurs français (Duchesneau, 2017), la musicologie en France vit un moment charnière où se définit une partie des critères qui doivent en faire une science autonome (Duchesneau, 2020). S’appuyant sur les fondements théoriques d’autres sciences humaines dont l’histoire, l’esthétique et la philosophie et sur les principes méthodologiques parmi lesquels ceux de la philologie, la musicologie française voit naître progressivement des travaux de plus en plus spécialisés destinés à un public d’érudits aux savoirs musicaux élargis (Lacombe, 2017). Parallèlement, dans un contexte propice à la diffusion plus universelle des savoirs qu’est celui de la IIIe République (Bonhomme, 2017), les musicologues français multiplient les formes de discours destinés à un public souvent moins scientifique que mélomane. Rolland et plusieurs de ses collègues considèrent que l’un des enjeux les plus importants de la nouvelle science est de se faire connaître en diffusant le savoir musical auprès du plus grand nombre possible alors que la musique occupe un espace de plus en plus important dans la vie quotidienne (Audéon, 2017). L’arrivée du disque puis de la radio amplifiera le phénomène. Parmi les moyens mis en place par les musicologues, outre les nombreuses conférences publiques souvent accompagnées par des illustrations musicales interprétées par des musiciens, il faut citer les nombreux ouvrages sur la musique destinés à un public mélomane, une presse musicale qui explore diverses manières de faire participer son lectorat (questionnaire, exercices musicaux, partitions musicales simplifiées, etc.) et le développement d’initiative d’initiation à la musique en dehors des cadres institutionnels de l’école publique, du Conservatoire, de la Schola Cantorum et à partir des années 1920, de l’École Normale de musique. On pense ainsi au Conservatoire populaire Mimi Pinson ou encore au Conservatoire des amateurs dirigé par le compositeur Xavier Leroux (Duchesneau, 2019).
Dans cette conférence, nous nous proposons de réunir quelques éléments historiques qui ont concouru à la constitution d’une musicologie, dont les premiers temps sont partagés entre l’essor d’approches scientifiques et systématiques de l’objet musical et le développement d’une diffusion des nouveaux savoirs selon un modèle basé sur le principe de la « valeur sociale de l’art ». C’est d’ailleurs le titre que le philosophe Georges Sorel donne à une conférence publique qu’il présente à l’École des hautes études sociales en 1901. La pensée du philosophe nous apparaît particulièrement intéressante lorsqu’on la compare avec certains des enjeux de la médiation culturelle aujourd’hui. Il dira ainsi : « Tout le monde comprend, d’une manière plus ou moins instinctive, que tout élément de culture doit s’universaliser […] ; on a souvent défini ce mouvement en le rapportant à la démocratie […] Une chose incontestable est que le public se considère, de moins en moins, comme une réunion d’amateurs passifs ; il commence à intervenir de manière active dans l’art » (Sorel, 1901).
L’exposé permettra d’articuler les différentes initiatives musicologiques à celles purement musicales et qui concourent, à notre avis, à l’apparition des fondements d’une médiation de la musique telle qu’on peut la penser aujourd’hui. Cependant, le développement de la musicologie au courant du XXe siècle écartera la discipline des enjeux de la médiation jusqu’à l’orée des années 2000 pour des raisons disciplinaires et d’évolution des structures du milieu musical professionnel. L’étude historique des initiatives des musicologues et des musiciens en 1900 pour diffuser auprès de la population française la musique et les savoirs qui l’accompagnent, nous permet de considérer qu’il s’agissait assurément de développer une musicologie médiatrice.
Biographie
Professeur à la Faculté de musique de l’Université de Montréal depuis 2002, et directeur de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM) depuis 2004, Michel Duchesneau est l’auteur et co-éditeur de nombreux travaux sur la musique française de la première moitié du xxe siècle. Une partie des travaux de Michel Duchesneau concerne l’étude des publics de la musique et l’histoire des institutions musicales. Dans ce cadre, il a développé un intérêt particulier pour les conditions d’émergence du goût musical autant d’un point de vue historique que sociologique. Il a aussi contribué au développement de l’enseignement de la médiation de la musique à l’Université de Montréal en créant un diplôme spécialisé (DESS en médiation de la musique). Il co-dirige actuellement l’Etude Partenariale sur la Médiation de la Musique.