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Appel à participation – Colloque international – 27 et 28 février 2025 – Montréal

La musicologie publique : une « étude sérieuse » à vocation publique

La musicologie française du 19e siècle se distingue de la musicologie allemande, entre autres par son mode principal de diffusion : des conférences généralement destinées à un public très large. Les musicologues français considèrent alors, comme de nombreux et nombreuses musicien.ne.s de l’époque, que l’accès à la musique ne doit pas être une question de classe sociale, mais d’affinité artistique : principe fondamental, associé à la notion d’éducation citoyenne propre au régime de la République. Les Français ne sont pas les seuls à concevoir l’essor de la musicologie au sein d’un développement plus universel du savoir musical tout au long du 20e siècle. Dès sa fondation la musicologie s’impose comme une science dont la vocation est d’être publique. En Europe, puis en Amérique du Nord, l’un des objectifs des musicologues est d’inscrire l’étude scientifique de la musique dans une double dynamique : faire reconnaître la musicologie comme « une étude sérieuse […] matière d’enseignement scientifique » (Rolland, 1908) tout en contribuant à faire connaitre et apprécier la musique à un public très large. Lors de l’ouverture du congrès international de l’American Musicological Society (AMS) de 1939, le président, Carleton Sprague Smith, déclare : « musicologists should “impart [their findings] to others” » (Hess, 2013).

Depuis ces déclarations programmatiques et l’institutionnalisation de la discipline musicologique, toute une terminologie a émergée pour désigner les pratiques de partage des savoirs musicaux auprès de publics non experts. La musicologie publique se fait alors, selon les langues, les pays et les époques, « music appreciation » (Guthrie, 2021 ; Bennett, 2013), « musicologie partagée » (Badol-Bertrand, 2011), « outreach » (Gordon, 2016; Allen, 2014 ; Greif, 2015), « public musicology » (Robin, 2020 ; Dorf, 2020 ; Jordanova, 2020 ; Natvig, 2020), « vulgarisation » (Bernard, 2019 ; Bordeaux et Chambru, 2020), « music education » (Guthrie, 2021 ; Bernard, 2019 ; Kopfstein-Penk, 2015), etc. De nombreux termes qui sous-tendent un rapport particulier avec les publics et les savoirs musicaux, rassemblent des pratiques et des dispositifs hétéroclites, et qui sont mis en œuvre par des professionnel.les aux curriculums variés (musicologues, interprètes, compositeurs, journalistes, etc.). Ce colloque international sur la musicologie publique souhaite favoriser le dialogue entre le milieu académique et le milieu pratique. Il donnera lieu à la publication en 2026 d’un numéro de revue thématique dans la Revue musicale de l’OICRM (RMO). Les communications souhaitées pour ce colloque pourront s’inscrire dans les trois axes suivants ou explorer d’autres thématiques :

1. Rapports aux publics

Pour François-Joseph Fétis, figure de proue de la presse musicale francophone, la musique doit être « mise à la portée de tout le monde » (Fétis, 1830). Pour Henri Prunières, la vocation de la musicologie est de « dissiper l’ignorance du public et ses préventions absurdes, lui faire aimer à la fois l’art du passé qu’il ne soupçonne pas et l’art du présent qu’il abomine a priori » (Lefèvre, 1929). Si certains reconduisent cette vision élitiste en déclarant s’adresser aux laymen, aux non-publics, aux profanes de la musique, il s’agit plus récemment, avec le développement de la médiation de la musique, de partager une expérience esthétique en valorisant la co-construction des savoirs et le partage du sensible (Christoffel, 2020 : Kirchberg et Pébrier à paraître). Quelles ont été et quelles sont donc les variations dans les postures adoptées à l’égard des auditeur.ice.s par les personnes réalisant des activités de musicologie publique ?

2. Rapports aux savoirs et dispositifs

Alors que l’éducation musicale a longtemps été essentiellement le fait d’institutions destinées à former des musicien.nes professionnel.les, la musique à l’école peine à se faire une place. Des divergences d’opinions marquées accompagnent le mouvement de démocratisation des savoirs musicaux. L’historien de l’art et critique Camille Mauclair (1872-1945) envisage le travail du musicologue à destination du grand public comme un moyen d’« aider à la recherche d’une joie », d’inspirer « le désir et la curiosité », en opposition au « pédantisme de l’enseignement intellectuel » des critiques ne « [réussissant] point à faire aimer » l’art (Mauclair, 1914). Pour Virgil Thomson, la musique n’est pas enseignée ou transmise durant les actions de music appreciation, mais « prêchée », donnant lieu à un « prosélytisme irréfléchi et pseudo-technique » faisant obstacle à la « diffusion de la véritable culture musicale » (Thomson, 1941). Max d’Ollone (1875-1959), quant à lui, s’inquiète du « nivellement dans la médiocrité » dans lequel pourrait tomber un tel mouvement démocratique (d’Ollone, 1933). Aujourd’hui David Christoffel indique que le déplacement des conditions discursives dans lesquelles sont appelé.es à intervenir le musicologue public amène une inflexion dans la logique interprétative au cœur de la discipline en questionnant le rapport aux sources : l’analyse des sources n’est plus réduite à servir à l’élaboration d’une problématique, mais est étalonnée sur les besoins ou préoccupations des publics envisagés (Christoffel, 2020). On peut donc s’interroger sur les modalités du partage de connaissances et la façon dont celles-ci influencent le contenu musicologique partagé.

3. Profils professionnels et légitimité disciplinaire

Au début du 20e siècle, les musicologues travaillent d’arrache-pied pour justifier l’existence de leur discipline dans le monde académique aux côtés de sciences humaines et naturelles. Dans ce contexte de quête de légitimité disciplinaire, la traduction des savoirs musicaux pour le grand public revient aux musicologues, communauté d’« élite » seule capable d’« enseign[er] ce qui dépasse les mots » (d’Ollone, 1933). La décrédibilisation par le milieu académique et musical de certaines approches de « vulgarisation » commence dès le début du 20e siècle, provoquant, par exemple, la disparition du terme music appreciation qui représente pourtant une importante industrie de production de livres, disques, émissions de radio, en plus d’être dans l’intitulé de cours universitaires censés élever les auditeur.rice.s culturellement (Rubin, 1992 ; Guthrie, 2021 ; Taruskin, 2020). Simultanément, des musicien.ne.s et musicologues travaillent pour des journaux, des institutions musicales, des compagnies de disques, des maisons d’édition et dans les milieux communautaires, pour traduire et transmettre des connaissances musicologiques à un large public. Ce modèle se transforme aujourd’hui à la faveur de la montée des pratiques de médiation de la musique, qui ouvrent la voie à une musicologie participative, visant le développement du pouvoir d’agir des participant.es considéré.es comme acteur.ices à part entière de l’élaboration du discours sur la musique. De ces transformations nait la question du crédit social et intellectuel accordé à ceux et celles qui agissent comme « musicologues publiques », dont les profils sont aussi variés que le nombre de dispositifs qu’elles et ils utilisent pour transmettre leurs connaissances (causeries préconcert, conférences-concerts, notes de programme, baladodiffusion, capsules vidéo, médiations ambulantes, etc.).


Le colloque se tiendra les 27 et 28 février 2025 à Montréal.