Jordan Meunier

Affiche

  Les premiers pas de l’animation culturelle à Montréal et la musique électro de Jean Sauvageau :Quand l’égrégore contre-culturel mute en dispositif ludique d’intégration sociale 

« Je me rappelle que [Serge] Lemoyne […] avait mis des grandes toiles  jusque par terre et […] il passait en go-kart et pssssh [imite un jet d’aérosol] [..] Là-dessus, je mettais toujours de la musique »  

La participation musicale de Jean Sauvageau dans les années 1960 à la scène d’avant-garde présente des éléments essentiels à la compréhension des premiers élans de l’animation culturelle au Québec, un pratique publique encore embryonnaire qui se développe dans le vent de l’assoupissement récent des politiques culturelles libérales post-duplessistes. Les explorations de Sauvageau piquent l’intérêt des plus grands, d’Hubert Aquin à Karlheinz Stockhausen, qui assiste lors de son passage à Montréal en 1964, aux concerts free jazz de Sauvageau, de Dominique Macchiagodena et de Hubert Lacasse, aux côtés de Maryvonne Kendergi et de Pierre Mercure

Inspirés par lapratiques américaine, les tous premiers happenings organisés par la bohème montréalaise « interlope » et libertaire du Red Light District au Bar des Arts et à la Casa espagnole). Cattirent bientôt l’attention du gouvernement. Lorgnant vers le côté populiste et rassembleur de ces spectacles collaboratifs, le ministère des Affaires culturelles de Jean Lesage et l’administration Jean Drapeau accorde des subventions généreuses à ces spectacles inter-art des (Expo ‘67). Pensés à la manière d’un jeu collectif, ces spectacles attirent des foules impressionnantes au Musée des Beaux-Arts de Québec (MBAM) [1965] et au jeune Musée d’art Contemporain (MAC) [1966]. 

Ce courant esthétique iconoclaste aux accents « ti-pop » culmine dans l’œuvre des collectifs d’avant-garde l’Horloge (1964-1965) et le Zirmate (1965-1967). Fondés par le Serge Lemoyne et Claude Péloquin et Sauvageau, ces groupes, entendent déconstiper le milieu de la création « savante » par l’art « populaire ». Un tel appui, s’il n’est pas totalement désintéressé, présente un changement d’attitude diamétral historique de la part des autorités québécoises par rapport  la génération précédente eu égard à l’art d’avant-garde (l’ostracisme du chef de file des automatistes Paul-Émile Borduas). Contre toute attente, l’horizon de valeurs de l’underground artistique converge au courant de la décennie 1960 avec les objectifs d’intégration sociale de l’État en matière de démocratie culturelle. On assiste dans cette mouvance aux balbutiements à l’ère de l’animation culturelle au Québec (De Carvalho 2013).

Et pourtant, le nom de Sauvageau brille par son absence dans les livres d’histoire de la musique québécoise. Comment expliquer alors une telle invisibilité ? Que peut-elle nous apprendre sur la manière d’écrire l’histoire de la musique au Québec?

Biographie

Jordan Meunier est étudiant au doctorat en musicologie historique à l’Université de Montréal sous la direction de Marie-Hélène Benoit-Otis. Il est également membre étudiant de la Chaire de recherche du Canada en musique. Ancré dans une approche pluridisciplinaire située au carrefour de l’histoire socioculturelle de la musique et de la philosophie esthétique, son mémoire de maîtrise Rire obscène, esthétique grotesque et imaginaires carnavalisés chez les premières avant-gardes musicales françaises abordait les influences de l’industrie du spectacle de la Belle Époque sur la démarche du compositeur Erik Satie. Ses recherches ont bénéficié à plusieurs reprises du soutien du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) et de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM, Équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles). 

Ses travaux récents explorent dans une perspective comparatiste les enjeux esthétiques soulevés par le glissement historique de la censure vers la cooptation publique des expressions musicales d’avant-garde par les politiques culturelles officielles, en mettant en rapport les contextes français et québécois de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1960.

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